۱۳۹۸ آذر ۱۳, چهارشنبه

معمای سقلاطون


Romania
Latin sigillatus > roman siglaton et escarlat
Georges-S. Colin





























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Colin Georges-S. Latin sigillatus > roman siglaton et escarlat. In: Romania, tome 56 n°222, 1930. pp. 178-190;
doi : https://doi.org/10.3406/roma.1930.3984
8029_1930_num_56_222_3984
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LATIN SIGILLATUS> ROMAN SIGLATON
ET ESCARLÂT

I. SlGILLATUS- ξιγτιλλΑτοξ.

L'arabe ancien connaissait sigillât-siqillât l « tissu de laine
ou de lin, décoré de bawâtim, c'est-à-dire de « cachets », ou de
« sceaux », ou de « bagues » ; les femmes s'en servaient comme
d'une sorte de tapis ou de couverture (namat) qu'elles
sur les litières dans lesquelles elles voyageaient à dos de
chameau : cet emploi prouve que ce tissu avait pénétré dans la
civilisation arabe et que ce n'est pas seulement un mot de
lexiques ou un terme étranger recueilli par des voyageurs. Son
ancienneté  relative -dans la langue est en outre établie par le
fait qu'il est cité dans un hadlt ou anecdote relative à
(vne siècle), dans lequel il est question d'un voile de tête
(tailasâri) qui était en soie genre sigillât.
C'était un tissu étranger : dans le seul vers où il soit
le sigillât décoré de sceaux (tnuhattam) apparaît comme
provenant de l'Irac, région qui correspondait à la Mésopotamie
lato sensu. Tous les lexicographes arabes sont d'ailleurs d'accord
pour reconnaître dans ce nom un mot étranger, persan selon
les uns, grec (rumï) selon les autres. Linguistiquement2, ce
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1. Dans les mots empruntés par l'arabe ancien, une alternance consonantique
g/q correspond en général à une prononciation g dans la langue à
laquelle le mot a été emprunté ; on peut donc restituer presque à coup sûr :
sigillât.
2. Historiquement, en effet, ce tissu d'origine grecque a fort bien pu être
introduit dans le monde arabe par la Mésopotamie säsänide, ce qui
que certains lexicographes considèrent son nom comme persan. On sait
que, vers 360, le roi säsänide Sapor II, à la suite d'une expédition militaire
en Syrie, en avait ramené de nombreux tisserands qui introduisirent dans son
empire les techniques byzantines.

























sont ces derniers qui ont raison : Al-Asma X l'un des plus
consciencieux des lexicographes arabes, mort à Basra en 828,
ayant montré ce tissu à une vieille Grecque et lui ayant
demandé comment on l'appelait dans sa langue, elle répondit
que son nom y était sigillàtus. Dans ce « grec » σηγηλλαχος,
on reconnaît immédiatement le latin sigillàtus ' « décoré de
s sceaux (tissu) ».
Les auteurs arabes ne nous ont pas, semble-t-il, laissé d'indications
permettant de connaître la nature exacte des « sceaux »
qui constituaient le décor caractéristique du sigillât2; il pouf
vait s'agir en effet de bagues ou de sceaux obtenus soit par une
teinture à réserves ou par une surimpression, soit par un procédé
de tissage en couleur ou, encore, de damassage ton sur ton.
On peut rappeler ici que, du Maroc au Yémen, en pasî
sant par la Kabylie, le Sud Tunisien, la Tripolitaine et la' Hâute-Égypte, on retrouve des tissus pour femmes (ceintures
ou voiles) décorés de cercles de couleur obtenus grâce à des
réserves à base de nouets (cf. P. Ricard, Le Batik berbère, in
Hespéris, 1925, pp. 411-426; aux références données dans cet
article, il faut ajouter le voile de mariée Çabruq) de Fès, et le
voile de visage des femmes de San 'a, tous deux en soie). Peut-
être ces tissus décorés de cercles de couleur sont-ils les actuels
représentants du sigillàtus ancien.
D'autre part, il suffit de feuilleter un album de tissus säsä-
nides ou byzantins pour remarquer immédiatement que l'une
des caractéristiques de leur facture c'est que l'ordonnance
décorative y est formée de roues, isolées ou tangentes par leurs
points axiaux, qui renferment un motif (lions, aigles ou
affrontés ou adossés) entouré d'un large cercle ornementé.
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1. Cf. Forcellini, Lexicon : sigilldta tentoria ; sigillätae sericae. Pour des
tissus décorés de « sceaux », cf. Ovide, Métamorphoses, VI, v. 86.
2. Le moyen âge arabe a, lui aussi, connu des tissus décorés de « sceaux »
(muhattam ; cf. Dozy, Supplément, s.v.). Mais, comme le mot hâtam « sceau »
s'applique tout spécialement au sceau de Salomon (= étoile à six pointes)
l'adjectif muhattam = sigillàtus implique en arabe un décor polygonal. A
Tlemcen, de nos jours, le motif appelé hätem semble ne plus avoir de
avec un sceau (cf. Bel et Ricard, Le travail de la laine à Tlemcen, p. 132) ;
à Tanger, le mhötem est un tissu décoré par damassage.




















C'est même cette particularité des tissus byzantins qui leur a
fait donner le nom de rotata ou circum rotata x.
Cependant, si nous sommes mal renseignés sur le détail du
décor porté par le sigillât, l'examen des lexicographes arabes
permet de conclure que, dans le monde arabe tout au moins,
le sigillât était à fond bleu 2.
En effet, à côté des deux valeurs étroitement apparentées de
« tissu décoré de sceaux » et de « tissu de couleur bleu foncé»,
on en relève une troisième, celle de « jasmin » '. Le rapport
qui unit ces deux séries de concepts est facile à saisir si l'on se
souvient qu'en Orient la fleur du jasmin est non seulement
blanche mais aussi jaune ou bleue ; c'est même cette dernière
couleur qui, pour les Persans, était caractéristique si bien que,
dans leur langue, l'adjectif yâsimtnî « qui a la couleur du
» signifie « bleu » (cf. Vullers, Lexicon, s.v.). C'est donc
vraisemblablement à cause de la teinte habituellement bleue
du fond du tissu qu'il désigne primitivement que le mot
a fini par s'appliquer au jasmin à fleurs bleues.
D'autre part, à côté du substantif sigillât, les lexicographes
arabes connaissent un adjectif « ethnique » : sigillâti qui
littéralement : « qui est de la nature, du type, du sigillât »
mais qu'ils glosent par « qui est de couleur bleu foncé » 4  ou
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1. Cf. le pallium rotatum, origine des paites roés de l'a. fr.
2. Les auteurs anciens, latins et grecs, paraissent muets sur ces deux
points : décor et couleur du fond. En bas-latin, Du Cange donne pour le
ixe siècle (Léon III et Léon IV) les expressions vestem albam sigillalam cum
rosulis, vestem sericam albam sigillalam, vela alba holoserica sigillata ; mais le
mot sigillàtus y est employé simplement comme adjectif et non avec la
valeur substantive.
3. L'éthiopien ancien (geer) connaissait aussi un représentant de
c'est sdgzl(T)ät qui, comme en arabe, a le double sens de « sorte de
vêtement précieux » et de « nom d'une fleur odorante » (cf. A. Dillmann,
Lexicon linguae aethiopicae, s.v.). Je crois que l'histoire du mot éthiopien
est inconnue, et que l'on ignore s'il a été emprunté directement au grec ou
s'il est venu par l'intermédiaire de l'arabe; quoi qu'il en soit, la coexistence
des deux sens (tissu ; fleur) en éthiopien et en arabe est importante.
4. En arabe : kuhlï, littéralement « qui est de la couleur du kuhl »,
de plomb ou d'antimoine, c'est-à-dire « noir bleuté » ; c'est un adjectif
de cette racine, akhal, qui sert dans l'Occident arabe pour désigner le « noir franc », l'adjectif propre, aswad, ayant été banni de l'usage parce que de


















 « vert pistache », cette seconde valeur étant indiquée par un
seul auteur.
C'était donc la couleur de son fond et non plus son décor
(réduit ou disparu ?) qui, pour une partie des lexicographes
arabes du moins, était devenue caractéristique du sigillât. Cette
évolution avait sans doute été favorisée par l'inexistence chez
les arabophones * du rapport étymologique étroit qui, pour des
Latins ou des Grecs, unissait le nom du tissu au nom du
motif qui le décorait.
Si j'ai insisté par l'évolution du sens de sigillât chez les
Arabes, c'est que l'on retrouvera des faits analogues à propos
du siglaton et de Vescarlat.


II. - Siglaton.
A côté du sigillât- siqillât de l'arabe ancien, les lexicographes
arabes ont enregistré un siqlâtan qui semble n'apparaître que
chez les auteurs médiévaux ; il s'agit toujours d'un tissu riche.
Sa fabrication avait été l'une des spécialités de Tébriz et de
Bagdad 2 ; mais l'industrie des luxueux tissus d'Orient avait été
introduite dans l'Espagne musulmane, et Al-Idrïsï, géographe
arabe du xiie siècle, rapporte qu'à l'époque almoravide (xie-xiie
siècles) la ville d'Alméria était devenue un centre extrê  
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mauvais augure. Le mot kuhli est parfois traduit par bleu ciel ; il serait
plus juste de dire « bleu de ciel », le ciel de Perse n'étant guère du même bleu
que celui de Paris. Chez quelques auteurs arabes d'Espagne, kuhli apparaît
avec la valeur de « rouge pourpre, rouge escarboucle » ; mais, comme c'est
une valeur purement occidentale et médiévale, je ne pense pas que l'on
puisse la faire intervenir dans la traduction de la glose laissée par les
arabes anciens.
1 . A côté de sigillât, les Arabes avaient bien emprunté, sous la forme
sigill, le latin sigill-um venu parle grec et l'araméen (cf. Fränkel, Die
aramäischen Fremdwörter im Arabischen, p. 251); mais, dans leur langue, ce
mot avait seulement l'acception secondaire de « document (scellé), registre »,
d'où, pour le sujet parlant, l'idée de « sceau » devait être absente ; de là
l'impossibilité, pour les Arabes, d'un rapprochement étymologique entre le
« sceau » d'un document et les dessins annulaires du sigillât .
2 Abu .Hamid al-Garnâtî, Tuhfat al-Albâb, éd. G. Ferrand, in foumal
Asiatique, 1925, II, p. 211.



















mement important de tissage où l'on fabriquait divers tissus
orientaux ' : Yisbahâni (= d'Ispahan), le çurgâni (= du Djourdjan),
le "attàbt et le siqlätün, tous deux spéciaux à Bagdad 2.
C'est de ce siqlâtûn que dérive le siglaton des langues romanes
médiévales. L'alternance de voyelles : ar. écrit ü >¦ rom. o
s'explique suffisamment par une vélarisation provoquée par
l'emphatique / ; peut-être aussi le û arabe est-il en fonction de
ö comme c'est souvent le cas. D'autre part, l'alternance de
consonnes ar. écrit q > rom. g, peutêtre considérée comme
un fait de phonétique hispanique, le q étymologique arabe
ayant souvent donné g dans les mots empruntés par l'espagnol ;
mais la lettre q (comme la lettre g) servant couramment aux
Arabes pour transcrire le son g des langues étrangères, il est
très possible que la graphie arabe siqlâtûn corresponde à une
prononciation arabe réelle en siglâtûn- siglaton .
Si les lexicographes arabes ne nous ont pas laissé
sur les caractéristiques du siqlâtûn, l'auteur du
persan intitulé Burhân-i qâ\V connaît siqlâtûn (variante :
saqlâtïn) ? avec la valeur de « tissu bleu » et, en poésie, le
persan classique employait aussi bien carfe-i siqlâtûn « roue de
siglaton » que carjj-i kabüd « roue bleue » pour désigner le
d'une façon métaphorique. Ce témoignage du
persan a une grande valeur, car le siqlâtûn se fabriquait
dans des régions limitrophes de la Perse (à Bagdad et aussi à
Nakhtchéwan, en Arménie).
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1. Cf. Al-Idrïsî, éd. Dozy et De Goeje, p. 240; Al-Maqqarï, Analectes, I,
p. 102, 1. 5-7. Il n'est pas étonnant que ces industries soient passées
d'Orient en Andalousie. Al-ídrísí raconte en effet que, lors de sa période de
prospérité (xie siècle), le port d'Alméria était fréquenté par des navires
venant d'Alexandrie et de Syrie.
2. C'est même, peut-être, le siqlätün de Bagdad ou l'une de ses variétés
qui, importé en Occident, y était connu sous le nom de baldaquin, de
baldaccbino « originaire de Baldach », déformation romane médiévale de
Bagdad.
.3. La finale (grecque) -ün ayant été prise pour le suffixe arabe -ün qui
marque le nominatif pluriel, on en a tiré l'oblique pluriel saqlätin. C'est de
même que, inversement, le mot yäsimin « jasmin » ayant été pris pour un
pluriel arabe au cas oblique, on en a refait un nominatif yasintûn que
les dictionnaires.



















Cependant, à l'intérieur des langues romanes, siglaton semble
avoir désigné surtout un riche tissu broché d'or et vermeil,
c'est-à-dire, étymologiquement, « teint en rouge à la cochenille
(yermiculf) ». Ce changement profond de couleur dans un
même tissu pourrait étonner; il est cependant expliqué par
Karabacek qui, dans un article * que je n'ai malheureusement
pas pu consulter, dit que le siqlâtûn de l'Occident musulman
était rouge vif, tandis que celui d'Orient (Bagdad et Tébriz)
était surtout bleu foncé.
Que le changement de couleur se soit effectué dans
musulmane, cela n'est pas pour surprendre, car l'on sait
que ce pays, gros producteur de soie, était aussi gros
de cochenille 2. D'autre part, la couleur vermeille du
siglaton roman prouve que ce tissu a été importé de l'Occident
musulman et non d'Orient, détail que corrobore son existence
dans les seules langues française, provençale et espagnole .
Le siglaton vermeil du moyen âge roman dérive donc
directement du Siqlätün rouge d'Andalousie, frère lui-même du
siqlâtûn bleu de Bagdad et de Tébriz .
Or, les lexicographes arabes et persans rapprochent ce
médiéval siqlâtûn de l'ancien sigillât-siqillât ; et, en effet, leur
communauté de sens : « tissu bleu », jointe à leur proximité
formelle, ne paraissent guère permettre de les séparer. Deux
faits cependant pourraient, à première vue, faire difficulté :
l'absence de redoublement du / et l'apparition d'une
-un.
A l'égard de la première, il est permis d'envisager deux
hypothèses :
i° réduction de siqillât en siqlât- (ou de sigillât- en siglät-),
réduction qui a pu s'effectuer soit en bas-latin, soit en grec
byzantin ;
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1 . Je ne le connais que par l'indication qu'en donne W. Heyd (Histoire
du commerce du Levant au moyen âge, trad. F. Raynaud, t. II, p. 700, n. 3)
qui renvoie à : Karabacek, Ueber einige Benennungen mittelalterlicher Gewebe,
I, 2-11.
2. « La meilleure cochenille est celle d'Andalousie ; les régions où il y en
a le plus sont celles de Seville, de Liebla, d'Archidona et de Valence.
on en exporte dans les contrées les plus éloignées. » (Cf. Al-Maqqarï,
Analectes, I, p. 90).



















2° existence, à côté de sigillàtus seul attesté comme
s'appliquant à des tissus, d'un signâtus ayant la même
valeur et qui, par contamination de forme et de sens, serait
devenu *siglâtus; mais, à la période classique, signâtus
« marqué d'un sceau, d'un cachet » ne paraît pas s'être
à des tissus.
Quoi qu'il en soit, d'ailleurs, de la valeur de l'une et de
l'autre de ces hypothèses, le fait est qu'à côté de siqlâtûn (et
avec la même valeur de « tissu bleu »), les lexiques persans
connaissent une forme sans gemination du / : siqlât; peut-être
la réduction sigillât > s'iglât, qui ne paraît attestée ni en latin
ni en grec, s'est-elle effectuée à l'intérieur d'une langue
en arabe ou en persan.
Pour ce qui est de la terminaison -ün, il faut d'abord écarter
l'idée qu'elle remonterait directement à un latin sigillâtum ;
dans la prononciation, la désinence -um avait en effet perdu
de bonne heure sa nasale finale ; dans les emprunts latins que
l'on retrouve en arabe ancien, elle n'est pas représentée. Dans
les mots latins empruntés par le grec, -um devient -ov (comme
-us devient z¿); mais dans les mots grecs passés en arabe
ancien, ov est en général représenté par zéro. Cependant,
dans des emprunts médiévaux, on a quelques exemples de
la conservation en arabe de la désinence grecque -ov 1 ; c'est
notamment le cas du nom de tissu abù qalamûn « sorte d'étoffe
brochée aux couleurs chatoyantes » qui est la forme arabisée
du grec médiéval υποχαλαμον « sorte de tissu broché » (<xáXajxoc
« broches ») 2; on peut y ajouter deux autres emprunts
médiévaux : manganûn « machine pour élever l'eau, noria » de
μαγγανον, et naulûn « nolis », de ναυλον; peut-être faudrait-il
y joindre buçyûn « sorte de brocart de soie » qui doit dériver
des adjectifs βυσσιγον ou * βυσσινο.
   La différence de traitement que l'on constate entre les
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1. Il n'y a pas à tenir compte des innombrables exemples de conservation
de cette désinence que l'on peut relever dans le vocabulaire technique des
botanistes et des médecins arabes ; c'est qu'il s'agit là de calques fidèles de
termes grecs écrits et non de mots réellement passés dans la langue et
arabisés.
2. Cf. Dozy, Supplément, I, p. 9.




















emprunts anciens et les emprunts médiévaux (perte ou
de la désinence -ov) peut être expliquée par le fait que les
premiers parvenaient à l'arabe par l'intermédiaire de l'araméen,
c'est-à-dire déjà sémitisés et sémitisés sans doute par des
bilingues sentant la valeur purement désinentielle de -ov
tandis que les derniers étaient introduits directement dans la
langue, par les marchands qui apportaient les objets qu'ils
Le sig(iî)lâtûn médiéval p¿ut donc très bien se
à côté du sigillât ancien .
Une troisième explication de la finale -un est fournie par un
lexicographe persan. Comme, en persan, siqlât signifie « tissu
bleu », ce qui est aussi la valeur de siqlâtûn, il propose de
considérer celui-ci comme une réduction du composé persan
*siqlât-gûn « qui est de la couleur du siqlât ». Cette explication
n'est cependant guère admissible car, dans les composés
du même type, lorsque l'élément gûn l « couleur » n'a
pas été conservé intact, c'est sous la forme yün (et non *ûn)
qu'il apparaît; cf. arabe des botanistes âdaryûn « nom d'une
plante »
Jusqu'à présent, le siglaton roman, comme le siqlâtûn arabopersan,
avaient été dérivés du grec xuxXaç, latin cyclas.
Meyer-Lübke (Etymol. roman. Wörterb., n° 7951) dérive les
formes romanes d'un arabe siqlât « vêtement féminin ». « Le
mot arabe, ajoute-t-il, dérive du grée, lat. cyklas(jzV), mais les
formes romanes ne peuvent reposer directement sur celui-ci ».
D'ailleurs, le mot siqlât n'est pas attesté en arabe; et en persan,
où il se retrouve effectivement, il n'a jamais la valeur de
« vêtement féminin ». Comme beaucoup d'autres, cette
rubrique orientale est nettement insuffisante.
Karabacek, spécialiste de l'étude historique des tissus
considère lui aussi siglaton comme venant du grec xuxXaç,
latin cyclas, par l'intermédiaire d'une forme « latinisée »
cyclatus 2. Du Cange, en effet, a bien une rubrique *Cyclatus
« panni pretiosi genus », mais il n'y donne aucun exemple
de l'emploi de ce mot et se borne à renvoyer à l'article Cyclas
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1 . Dans les mots persans empruntés par l'arabe et où figure cet élément,
on le retrouve en général sous les graphies qün et gün ; cf. ar. %arqün
« minium », du persan \ar-gun « de couleur d'or ».
2. Ci. Ueber einige Benennungen mittelalterischer Gewebe, pp. 274-283.



















où l'on cherche en vain cyclatus. Le latin médiéval paraît
n'avoir connu que cyclas-cycladem « genre de vêtement de forme
circulaire (circûmtextum), ou encore : orné sur son pourtour
(in circuitu) « d'une bande de pourpre ou d'or ». C'était
un vêtement analogue à la rota du latin médiéval.
Quant à siglaton qui désigne toujours un genre de tissu, et
jamais un vêtement, il ne semble pas avoir eu de forme latine
ni latinisée ; on le retrouve tel quel dans les textes latins : « de
panno áureo .... ciclaton » . Si, à la fin du xrr siècle, l'auteur
du Vocabulista latino-arabe d'Espagne traduit par ciclas l'arabe
siqlâtûn, c'est à mon avis par suite d'une fausse étymologie,
fondée d'une part sur une apparence de parenté formelle :
cycladem > siglaton, et d'autre part, sur la proximité des deux
sens : « riche vêtement à bordure circulaire de pourpre ou
d'or», « tissu précieux de soie brochée d'or ». Mais j'estime
que, en partant de cyclas, la finale -ätün de l'arabe et du roman
demeure injustifiable alors qu'elle s'explique tout
en partant de
étymologie me paraît devoir être préférée 2.


III. Scarlat.

A côté de siqillât, les lexicographes persans citent, comme
variantes persanes, les formes saqallât-saqallât et saqirlât-saqir-
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1. J'ignore l'importance qu'il faut accorder à un passage cité par Godefroy
et où il est parlé d'une femme vêtue de siglaton à cercle d'or. Si l'on
lire à cercles d'or, on serait en droit de supposer que le siglaton
avait conservé le décor caractéristique du sigillàtus primitif.
2. Comme, à côté de siqlätün « siglaton », on trouve aussi chez les auteurs
arabes un adjectif « ethnique » siqlätünt, les lexicographes arabes l'ont
comme signifiant « originaire de Siqlâtûn » et ont considéré celle-ci
comme « une ville du pays des Rûm » qui aurait été la patrie de ce tissu.
Ils ont été confirmés dans leur erreur par l'existence de personnages portant
le nom de As-Siqldtünt qu'ils ont également compris dans le sens de «
de S. ». En réalité, siqlätünt signifie dans le premier cas « (tissu) du
genre du siglaton » et dans le second « tisserand où marchand de siglaton ».
Comparer la même valeur prise par les « ethniques » hartrt « qui tisse ou
vend la soie » et kittanï « qui tisse ou vend le lin ».



















lät-sagirlät l « certain tissu de laine fabriqué dans le pays des
Chrétiens », les trois dernières formes provenant de la
dissimilation en ri du groupe géminé ll 2. De même, l'auteur du
dictionnaire arabe intitulé Tûgal-Arus (xvine siècle) dit, à
propos ße sigillât-siqillàt, que c'est le tissu que les gens du
peuple appellent sihrlüt 3. C'est un des représentants de cette
série à dissimilation 4 qui est à l'origine de Yescarlat roman.
L'étymologie de celui-ci a été très discutée. Comme dans
l'antiquité, une cochenille réputée se recueillait en Galatie,
certains ont voulu voir dans escarlat un dérivé de galaticus
[coccus] (cf. Simonet, Glosario, p. 190); d'autres l'ont
rapproché du nom de la Sicile. Pour Meyer-Lübke (n° 7661), scarlait
est d'origine inconnue, « le persan saqirlât, étant lui-même
emprunté, dit-il, ne peut être l'origine des mots romans ».
Dans un article intitulé The word « Scarlet » (in Journal and
Proceedings of the Asiatic Society of Bengal, 19 ro, vol. VI,
pp. 263-266), A. Hontum-Schindler a voulu dériver le persan
saqirlât du chinois du xve siècle : sa-ha-la, dont la dernière
syllabe devait avoir, dans la langue ancienne, une implosive
dentale ; mais comme ce nom chinois se rapporte à des tissus
provenant du Bengale ou du Golfe Persique, il est plus logique
d'y voir la simple transcription du persan saqirlât- saqari 'ât ; c'est
d'ailleurs l'avis de G. Ferrand (cf. Journal Asiatique, 1925,
t. 207, p. 211, n. 2). Il en est de même pour le tibétain saqlad
(cf. Jäschke, A tibetan-english dictionary, s.v.) et pour les
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1. Cf. Vullers, Lexicon, s.w, — La forme sagirlât est attestée en
persan, dès la fin du xm* siècle, dans des lettres de Rasîd ad-Dîn où ce mot
désigne un tissu importé de chez les Rüm ; on trouvera les références dans
l'article de Hontum-Schindler cité plus loin. L'alternance qXg est
fréquente dans la phonétique persane ; c'est ainsi que, dans les mots empruntés
à l'arabe, le q arabe est en général prononcé g (spirante vélaire) par le
persan actuel.
2. On trouvera des exemples de cette dissimilation ap. R. Ruzicka,
Konsonantische Dissimilation in âen semitischen Sprachen, p. 45.
3. Le timbre des deux voyelles brèves n'est pas précisé et j'ignore s'il faut
le restituer en a ou en i.
4. Du Cange cite bien des formes escallata, squalata, sans dissimilation ;
mais il peut s'agir là d'une assimilation romane secondaire : II > rI > II




















différentes formes indonésiennes (cf. Favre, Dictionnaire malaisfrançais,
s.v. saqelât).
Enfin, dans le numéro de Janvier-Février 1929 de la Revue
de l'Académie Arabe de Damas (pp. 60-61), le père Anastase-
Marie, des Carmélites de Mossoul, a proposé comme étymologie
de iskarlät le complexe arabe asqar al-lât qui peut se
traduire par « rouge de couleur ». Mais cette étymologie
soulève deux graves objections qui ne permettent pas de
l'accepter; d'abord, ce complexe n'est nulle part attesté, ni chez les
auteurs arabes, ni dans les lexiques; ensuite, le témoignage
des lexicographes arabes, persans et romans prouve que, ni
étymologiquement, ni originairement, l'écarlate n'est un tissu
rouge. La critique que le Père carmélite adresse en passant à
l'auteur du Tag al-'Arüs est complètement injustifiée.
Quant à moi, c'est ce persan, dérivé lointain du sigillâtus
latin, que je considère comme l'origine du mot roman.
Mais comment peut-on rattacher sémantiquement notre
¿caríate devenu caractéristique d'une variété de rouge à la série des
sigillât-siqlâtûn-saqirlât bleus de l'Orient ? C'est que, pas plus
que ces derniers ne sont étymologiquement des tissus bleus,
Yescarlat roman n'était, primitivement, un tissu caractérisé par
sa couleur rouge. En consultant Du Cange et Littré, on trouve,
du xiie au xvie siècle, des exemples à'escarlate blanche, brune,
grise et verte aussi bien que vermeille. « Au xve siècle, observe
Littré, ¿caríate paraît signifier : étoffe en général » ; il aurait
pu dire plus justement : « étoffe caractérisée, non pas par sa
couleur, mais une autre particularité ignorée de sa facture » '.
On sait combien les lexicographes orientaux, pour ne pas
parler des nôtres, sont peu explicites lorsqu'il s'agit de realien
intéressant la vie de tous les jours. Si certains des lexicographes
arabes ne nous avaient pas précisé que le sigillât était décoré
de « sceaux », nous n'aurions que la glose de leurs confrères :
« tissu bleu foncé ». Sans doute, outre son fond bleu qui
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1 . Pour une évolution analogue de sens, comparer :
1° français moderne drap « tissu de laine très caractérisé » qui,
anciennement, signifiait simplement « étoffe ».
2° arabe marocain kettän : a) lin (plante) ; ß) toile de lin ; y) toile en
général ; 8) toile de coton, cotonnade.




















frappait à première vue les lexicographes et les poètes, le siglâtün
persan était-il lui aussi caractérisé par certaines
particularités de facture (matière première ; mode de tissage ;
décoration) qui constituaient l'essentiel de sa personnalité aux yeux
des tisserands, des marchands de tissus et des acheteurs.
Malgré la carence des lexicographes, il est permis de croire que ce
sont ces particularités inconnues qui, sous des teintures diverses,
ont plus ou moins persisté du sigillâtus à Yescarlat et
constituent le lien qui unit les membres de cette famille
étymologique.
Au point de vue sémantique, une double question se pose :
où et quand le saqirlat-saqarlât, primitivement bleu, a-t-il reçu
la couleur rouge qui est devenue sa caractéristique ?
On a vu à propos du siqlâtûn que, de bleu en Orient, il était
devenu rouge dans l'Occident arabe.
On serait donc fondé à croire que c'est aussi dans cet
Occident, peut-être précisément en Andalousie, que Yescarlat rouge
a pris naissance : cette hypothèse semble cependant
insoutenable. A la fin du xne siècle, l'auteur du Vocabulista ne
connaît que qarma^î « teint au kermès, cramoisi » qu'il traduit par
cogcinus. Pour le xine, on a l'attestation que les musulmans
d'Espagne y portaient des manteaux à'isforlât l à l'imitation de
leurs voisins chrétiens : le contexte semble indiquer qu'il s'agit
d'un tissu importé de la Chrétienté, et, d'autre part, la lettre
arabe s est la notation ordinaire de la prononciation du s
roman d'Espagne; la forme arabe hispanique du nom de ce
tissu paraît donc bien n'être que la reproduction du roman
escarlát ayant subi une harmonisation de son vocalisme : iskirlât.
Il faut arriver à P. de Alcalá (fin xve siècle) pour trouver
l'espagnol (d'origine arabe) carmesí « cramoisi » traduit par
l'arabe (d'origine romane) iikirldt « écarlate ».
L'Andalousie étant éliminée, on pourrait penser à l'Arménie
comme patrie de Yescarlat rouge ; on sait en effet que, depuis
l'antiquité, ce pays était réputé par sa cochenille, au point que
la petite ville arménienne à'Ardasât est surnommée par le
géographe arabe Al-Baläduri « bourgade de la cochenille ». Or,
un lexicographe persan cité par Vullers donne pour saqlätün
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1. Cf. Al-Maqqarï, Analectes, I, p. 157, I. 20.




















les valeurs de saqirlât et de « tissu fabriqué à Nakhtchëwàn »,
petite ville arménienne située à 200 kilom. au N.-O. deTébriz.
Le saqirlât qui, anciennement, était exclusivement bleu l,
aurait pu devenir rouge dans un pays de teinture à la
cochenille ; malheureusement, aucun texte ne vient appuyer cette
hypothèse et, d'après les documents existants, il semble au
contraire que ce soit dans l'Europe occidentale que Yescarlat
ait changé de couleur.
Le saqirlât-saqarlât bleu du persan, dérivé du sigillätus
latin, serait donc passé dans l'Occident chrétien où il aurait
donné scarlât, escarlât, qui finit par devenir un tissu rouge
caractéristique.

*
* *

Si les deux etymologies proposées ici étaient acceptées, voici
comment l'on pourrait retracer, en gros, l'histoire des dérivés
de sigillätus.
Iº Par l'intermédiaire du grec byzantin aiyAXaxoc, le mot,
désignant un tissu décoré de sceaux, tissu de laine ou de lin,
et accessoirement, en Orient, de couleur bleue, passe en arabe
ancien (vne siècle) et en éthiopien ancien .
2º Plus tard, le même mot passe à nouveau en Orient sous
la forme siqlätön-siglätön. Mais, peut-être par suite de
modifications techniques apportées à sa fabrication soit dans le monde
grec, sa patrie d'origine, soit dans le monde musulman, sa
patrie d'adoption, c'est devenu un tissu de soie broché d'or,
qui garde d'abord sa teinte bleue, puis prend une teinte rouge
en Andalousie ; en tant que tissu de soie, il rentre en Europe
comme objet d'importation.
3º Vers le xme siècle (?), apparaît un doublet de sigillât :
saqirlât, dont le lieu de naissance est encore incertain. Sa
couleur, non fixée au début, finit par être le rouge. Le tissu et
son nom apparaissent partout en Europe et sont répandus dans
le monde entier par les commerçants européens.
                                                                        Georges S. Colin.
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1. Cf. Burhän-i Qâtï, cité ap. Vullers, Lexicon, p. 304, s.v. saqlätün.



https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1930_num_56_222_3984